La vente forcée pour sortir de l'indivision

par Maitre Séverine Rosenberg, avocat au Barreau de Paris

La vente forcée pour sortir de l'indivision

La vente forcée pour sortir de l'indivision par Séverine Rosenberg

Introduction

L'indivision constitue une situation juridique temporaire dans laquelle plusieurs personnes exercent des droits concurrents sur un même bien ou ensemble de biens, sans division matérielle des parts (art. 815 C. civ.). Cette situation, fréquente en matière successorale ou post-communautaire, est en principe destinée à prendre fin par la sortie volontaire ou judiciaire de l'indivision. Le Code civil affirme clairement que "nul ne peut être contraint de demeurer dans l'indivision" (art. 815, al. 1er).

Cependant, les situations de blocage ne sont pas rares, qu'elles résultent de conflits familiaux, d'une stratégie de rétention ou d'un désaccord sur les modalités de sortie. Dans ces cas, la vente forcée peut apparaître comme l'ultime solution pour réaliser le principe de libre de sortie de l’indivision. Cette procédure, prévue notamment à l'article 815-5-1 du Code civil, encadre l'action d'un ou plusieurs indivisaires souhaitant obtenir judiciairement la vente du bien indivis.

Il s'agira d'examiner les conditions et les effets de cette vente forcée, au regard de la volonté du législateur de concilier l'efficacité patrimoniale avec la protection des droits des coïndivisaires.

I. La vente forcée comme modalité subsidiaire de sortie de l'indivision

A. Le principe de la liberté de sortir de l'indivision

L'article 815 du Code civil pose le principe fondamental selon lequel nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision. Cette disposition a pour finalité d'éviter la paralysie du patrimoine et de permettre à chaque coïndivisaire de récupérer sa part sous forme liquide ou en nature.

Trois modalités principales permettent la sortie de l'indivision : le partage amiable, le partage judiciaire, et l'attribution préférentielle (art. 831 et s.). Toutefois, ces procédures supposent un consensus minimal ou une absence de conflit profond, ce qui est rarement le cas dans les indivisions conflictuelles.

En pratique, cela signifie que tout indivisaire, quelle que soit sa part (1 %, 50 %, etc.), peut demander la fin de l’indivision à tout moment, sauf si une convention ou un jugement s’y oppose.

II. Le recours au juge pour ordonner une vente forcée

A. Conditions et procédure de la demande judiciaire (art. 815-5-1 C. civ.)

Introduit par la loi du 12 mai 2009, l'article 815-5-1 du Code civil permet à un ou plusieurs indivisaires représentant au moins les deux tiers des droits indivis de demander au juge la vente d'un bien indivis.

La demande suppose l'envoi préalable d'un acte extrajudiciaire aux autres indivisaires, les informant de l'intention de vendre. En l'absence de réaction ou d'accord, les indivisaires majoritaires peuvent saisir le tribunal judiciaire.

Le juge peut autoriser la vente par licitation (ventes aux enchères publiques ou de gré à gré selon le droit local ou l'accord des parties), conformément aux articles 1377 et suivants du Code de procédure civile.

B. Les droits de l'indivisaire minoritaire et les garanties

Les indivisaires opposés à la vente disposent de droits de contestation. Ils peuvent s'opposer à la demande s'ils démontrent un abus de droit ou une fraude (par exemple, vente à vil prix, exclusion volontaire, ou dissimulation d'information).

Cette protection vise à garantir un équilibre entre majorité et minorité dans la gestion de l’indivision.

III. Les effets de la vente forcée sur la situation des indivisaires

A. La liquidation de l'indivision

Une fois la vente réalisée, le produit est partagé selon les quotes-parts de chacun. Ce partage met fin à l'indivision.

Si certains indivisaires sont titulaires de créances ou d'avances sur l'indivision, celles-ci sont prélevées sur le prix de vente avant la répartition (art. 815-13 C. civ.).

B. Les dérives possibles et limites de la procédure

La vente judiciaire comporte un risque de dévalorisation du bien, notamment en cas de vente par adjudication. Certains coïndivisaires peuvent être tentés d'utiliser la procédure pour forcer une cession à bas prix, ou pour exclure un indivisaire occupant.

La doctrine souligne ainsi la nécessité d'un encadrement judiciaire rigoureux pour éviter les abus, notamment en présence de personnes vulnérables.

Conclusion

La vente forcée prévue à l'article 815-5-1 C. civ. s'inscrit dans une logique d'efficacité patrimoniale et de libération de l'indivision. Elle est l'expression concrète du principe selon lequel nul ne peut être contraint à demeurer dans une communauté d'intérêts devenue conflictuelle.

Toutefois, cette faculté doit être maniée avec prudence, sous le contrôle du juge, afin d'éviter les effets déséquilibrés ou abusifs, et garantir les droits fondamentaux des coïndivisaires minoritaires.


Références principales :

Cet article vous a éclairé ? N'hésitez pas à contacter les avocats Rosenberg au 06 15 27 69 88 pour vous aider à résoudre vos problèmes juridiques en toute efficacité et sérénité.